Voyages et déontologie (introduction)

Oui, je me demandais si ce sujet avait un quelconque intérêt. En réalité, c'est un point crucial.
C'est récemment que j'ai pris conscience de cet élément déterminant dans le domaine du voyage : peut-on voyager partout sans scrupules ? 

Je reconnais que mon jeune âge et ma naïveté me submergent depuis tant d'années que j'occultais volontairement cette épineuse question. De plus, ma stratégie mentale est déconcertante de limpidité : je me considère comme citoyen du monde et de ce fait apte et autorisé à circuler sur la Terre comme bon me semble. 

Evidemment, je ne crache pas au sol à Singapour parce que c'est sévèrement puni, de l'ordre de 1000 euros d'amende (je ne sais pas combien ça vous coûterait de cracher une amande d'ailleurs mais c'est hors-sujet). 1000 euros, mais les textes de loi sont clairs : seulement si vous crachez votre chewing-gum au sol ! Tout devient opaque pour les rebelles qui crachent en l'air. Y a-t-il une aggravation de la peine pour provocation ? Et pour ceux qui crachent suffisamment fort pour déposer le projectile comme une nonchalante plume d'albatros en haut d'un lampadaire ? L'histoire ne le dit pas. C'est quoi ces lois en carton ?

Dans la même veine (si on veut se ronger les sangs), le citoyen-terrien modèle ne se promène pas en short moulant en dodelinant de la croupe à l'entrée de la grande mosquée de Rabat. C'est contraire aux règles de déontologie du voyageur, qui se doit de respecter corps et âme son lieu de villégiature.
Enfin, je me déchausse prestement lorsque je suis invité dans une maisonnette du nord de Kyoto, par respect pour mes hôtes. Bon dans ce dernier cas, je ne comprends pas bien en quoi c'est une marque de respect de leur présenter mes chaussettes aux couleurs de Gaston Lagaffe qui sentent quand même un peu fort après avoir traversé la Sibérie orientale en scooter des neiges pendant 47 jours, mais c'est une tradition locale, je m'exécute. Et provoque sans tarder une vague de suicides collectifs.
J'applique donc ces principes de base depuis le début. 

Mais l'autre midi, mon copain Manu (qui n'était pas encore descendu) me hèle dans un couloir puis m'interpelle de haut (1,85 mètre au garrot) et m'invective presque : "Dis-donc, tu n'irais quand même pas visiter une dictature ?"
Je tente un retournement tout aussi flegmatique qu'outragé : "Are you talking to me ?"
Traduction : "Quoi ?"
Il insiste, me plaquant au mur et me collant ses naseaux bouillonnants tout contre mes sourcils soudain beaucoup moins alertes : "Je te disais que Ca s'fait trop aps d'aller donner de l'argent à un dictateur".

J'ai bien sûr sorti le grand jeu : le regard en dessous mais acerbe, je lui tiens tête, toujours visage haut. En même temps si je veux le voir, il vaut mieux que je redresse entièrement mon mètre virgule soixante-dix. Ma glotte gesticule (ça pue la contrepèterie mais non, pas ce soir), mes pensées vacillent et mes certitudes de voyageur affable volent en éclat comme l'abribus que Jean-Pierre a emporté chez lui en rentrant de boîte de nuit avec sa Kangoo Disneyland. (petit aparté : ce modèle a été produit en jaune et aussi en bleu, des marginaux ont acheté ce véhicule à la fin du XXème siècle, sûrement des mal-voyants prédisant la fin du monde au 31 décembre).
Mon corps lui-même s'effiloche, vexé tout autant par cette attaque imprévisible que par le manque de réflexion intérieure qui me caractérise parfois...
Je tente de me débattre mais son souffle chaud inquisiteur me cloue sur la paroi (pourtant jamais de clous sur du placo mais bon...). J'ai l'impression d'être à peu près aussi à l'aise qu'une libellule paraplégique qui vient de se faire choper sur le balcon de Spiderman.
Je ne parle pas ici de Superman qui aurait, selon la dernière rumeur, "une bouille incroyable", attribut fort réjouissant au demeurant. On attend les photos.
De retour dans mes pénates nettes (alors oui c'en est une mais elle est ridiculement stupide), je commence à tergiverser "grave" et à me demander si la frontière entre le plaisir du voyageur et la décence de ses actes est aussi marquée dans la société qu'elle le devrait.

Petit à petit, je m'interroge...

- Est-ce décent de visiter une dictature ? Sinon, qui cela gêne-t-il ? 

- Est-ce décent de rester dans un hôtel multi-étoilé de Dakar en regardant par la fenêtre les gamins de 6 ans faire les poubelles ?

- Est-ce décent de se pavaner (virez les chaussettes quand même !) sur une plage de Thaïlande 3 semaines après le dernier tsunami ?


- Peut-on sans scrupules visiter un pays dont certaines banques blanchissent de l'argent pendant que vous sillonnez le musée de la deuxième guerre mondiale en espadrilles ?

- etc...

J'ai donc décidé de tout mettre sur la table et puisque mon amie Céline estimait que je ne traitais pas des sujets de fond, elle va en avoir pour son argent... Vous allez voir que le fond, on va le toucher et y prendre un sacré bain de boue...

Au fait, Manu, t'es décent ? ben euh... c'est ton destin...









Commentaires