Voyages et déontologie (préambule, le vrai)
Samedi 20 Octobre 2018, 6 h 30,
aéroport de Roissy Charles De Gaulle, porte 69. Les néons se distinguent par leur nonchalance et leur manque d'entrain
caractérisé à se mettre en route. Ils diffusent pour le moment
des halos blafards et rendent ce lieu glauquissime. Je reconnais que
ça éclaire bien pour pas trop cher mais rendons-nous à l'évidence : c'est quasiment
impossible de donner un nom à cette couleur, navigant entre le gris
clair pas franc, le bleuté vomitif, le "poussières d'étoiles"
en phase terminale, mon ami Gianni aurait parlé carrément de
"caribou albinos" (il est drôle, Gianni).
J'aurais volontiers préféré un bleu
un peu plus vif, quelque chose de pimpant, de revigorant, de moderne
tout simplement : pourquoi ne pas installer des attrape-moustiques
électriques qui joindraient l'utile à l'agréable, un peu comme ça
:
Bon, la saynète suivante se joue donc sous
les néons, devant nos yeux encore moribonds mais pas indifférents.
Nos oreilles, quant à elles, sont affûtées et prêtes à capter le
moindre détail de ce dialogue d'anthologie (toujours là, Gianni ?). En réalité, un
malentendant (degré 4 sur 5) pourrait suivre une partie de la
conversation tellement Romain parle fort.
Personne ne sait pourquoi. On ne sait pas non plus s'il en souffre
lui-même. On ne lui a jamais demandé, de peur qu'il ne réponde et
nous envoie d'un souffle derrière la ligne médiane. Il est le seul
être humain à pouvoir visiter le Svalbard sans fusil pour se
défendre des ours polaires, ces derniers détalant à la même
vitesse que Woody Allen devant 15 All-Blacks déterminés.
L'autre héros est beaucoup plus
discret, parfois équipé d'un petit sourire au coin des lèvres.
C'est Wilfried. Avant de décocher une phrase, il marque toujours un
petit temps d'arrêt, histoire de toiser l'adversaire, comme un vieux briscard qui tire un pénalty. Il rit
facilement aux blagues de Romain. Enfin, tout le monde aime les
blagues de Romain. Pas vraiment le choix.
1,92 mètre de haut, la moitié de
large, la voix qui porte jusqu'à Wallis et Futuna si le vent est
favorable, et les mains de Hulk. Je vois pas trop quel intérêt on
aurait à ne pas être son ami ?
Même aux petits chevaux on le laisse
gagner, le Romain.
Bref, écoutons cet échange
profondément instructif pour la suite de notre thèse déontologique
:
W : "Salut Romain, ça fait un
bail !"
R : "Comment tu vas mon Wilfried
?"
W : "Ca dépend des jours, ce
matin c'est cool, je pars voir ma soeur en Suisse ! Et toi ? "
R : "Petite balade En Guinée
Equatoriale !"
W : "T'es malade ?"
R : "Non pas encore, mais avec ce
qu'on peut choper là-bas, au retour sûrement... !"
W : "T'as mis un slip ?"
R : "Euh.... oui, toujours le
week-end..."
W : "Ben c'était pas la peine, tu
vas te le faire chourave, c'est des déjantés de ouf !"
R : "Mon pote Théodule a bien
été en Corée et il s'en est remis !"
W : "Mais t'as rien d'autre à
faire ? Tu vas voir quoi là-bas ? Un festival de castagnettes ?"
(note de l'auteur : la Guinée
Equatoriale est le seul pays africain où l'espagnol est une langue
officielle, d'où le lien avec les castagnettes...)
R : "Je voudrais photographier un
Turnix Mugissant et un Parmoptile à Gorge Rousse."
W : "Ah ben je comprends mieux,
alors : respect. Je préfère ça. Je m'attendais encore à un
vulgaire Hypolaïs Polyglotte ou un simple Néocossyphe à Queue Blanche, tu m'as foutu une sacrée trouille !"
R : "Depuis le temps qu'on se
connaît, je te prends pas pour un débutant quand même..."
W : Y a quand même un sacré problème
: la Guinée Equatoriale est une dictature. Tu cautionnes le régime
?"
R : "De quoi tu me parles ? J'ai
4000 euros de matos photo pour les oiseaux les plus rares de la
planète et faudrait pas que je m'en serve ? T'es sérieux ?"
W : "Attends, t'énerve pas, et...
lâche-moi la gorge avec ton auriculaire. Je dis simplement que moi,
je ne visiterai jamais une dictature, c'est contraire à mes valeurs
! Je ne jouerai jamais le jeu des tyrans, c'est tout, c'est un
principe ! Je ne mets pas les pieds dans un pays anti-démocratique
qui ne respecte pas les valeurs humaines et les règles élémentaires
de déontologie, c'est comme ça !"
R : "Par contre, tu vas en
Suisse..."
W : "Et ?"
R : "Dans un pays qui fabrique des
produits parmi les plus toxiques au monde mais qui ne les utilise
jamais sur son propre territoire par exemple..."
W : "Tu parles du chocolat ?"
R: "Crétin ! Je parle des
coffre-forts dont tu n'auras jamais le code !"
W : "Et 1664, ça marche pas des
fois ?"
R: "Cours, Wilfried, cours !"
Chers lecteurs, vous êtes tous
abasourdis ou échevelés ? (euh pas toi Romain quand même, parce que tu es déjà
sacrément dégarni je crois ?) Vous découvrez que vous ne vous
étiez jamais posé toutes ces questions ? C'est pas fini...
Si vous souhaitez vraiment être un
voyageur responsable, soucieux de véhiculer des valeurs qui vous
correspondent et respecter le maximum de règles de vie, vous allez
passer pas mal de temps à consulter des listes de critères
concernant chacun des pays que vous envisagez de visiter. C'est un
exercice salutaire mais presque infini. Quand mon copain Manu m'a
fait cette réflexion l'autre jour, j'ai cru balayer l'ouragan
philosophique en 10 minutes. J'en suis à 6 mois de recherches,
d'études de cartes, de dossiers sur tout un tas de sujets. Ceci
étant, c'est uniquement pour apprendre des choses et les écrire
pour le plaisir, pas pour me forger une opinion et me tarabuster la
centaine de neurones qui me dirigent. Ma décision est prise depuis
longtemps. Je ne changerai pas de stratégie. Je vais où j'ai envie
d'aller. C'est assez sommaire mais efficace. Sinon, je n'irais à peu
près nulle part. Comme ma passion principale est le voyage, ce
serait très fâcheux.
Mais admettons que l'on s'interroge
malgré tout....
Vous êtes-vous fixé une ligne rouge
concernant les pays infréquentables ? Celle-ci est-elle
infranchissable en toutes circonstances ? Est-elle modulable en
fonction de certains événements ? Lesquels ? Si vous décidez de
transgresser la règle (que vous avez vous-même fixée, j'insiste
lourdement pour vous faire mal aux dents...), êtes-vous prêt à
réduire en cendres le tumulus de valeurs et bonnes pensées que vous
aviez échafaudées pendant des années ?
Prenons un exemple concret : en 1985,
vous avez mis Madagascar sur votre liste rouge car ce pays ne
respecte pas les droits élémentaires des enfants. Si vous tombez
amoureux aujourd'hui d'une personne n'ayant qu'un passeport malgache,
on fait comment ? On raye quoi ? Le nom du pays sur la liste ou
carrément l'humain ?
Encore plus compliqué : vous êtes
marié-e à une personne de nationalité syrienne depuis 20 ans, et
vous allez à Lattaquié régulièrement pour voir votre
belle-mère...
Depuis 2011, le fait est que l'on peut
considérer la Syrie comme un pays ne respectant pas toutes les
règles de bienséance. Vous faites quoi ?
J'ai établi une petite liste de
critères pour évaluer selon sa propre conscience si les
destinations sont acceptables ou non :
- le pays convoité est-il une démocratie ? Si oui, totale ? Partielle ? Evolutive ? Truquée ?
- dans ce pays, les droits de l'homme sont-ils respectés ? Entièrement ? A peu près ? Oui, sauf la nuit ?
- Qu'en est-il des droits des femmes ? Des droits des enfants ?
- La liberté de la presse, ça vous importe ? Alors il faut compter avec ce paramètre...
- Au fait, l'accès aux soins des gens simples, des classes populaires, ça veut dire quelque chose pour vous ?
- Le degré de corruption a-t-il une influence sur votre choix ?
- Les sanctions de la Cour Pénale Internationale vous soucient ? Ah ben oui, ça semble important d'en tenir compte...
- Et l'environnement ? Qui pollue ? Chez qui ? Qui laisse chasser discrètement quelques éléphants pour engraisser un premier ministre bedonnant ? Se dirige-t-on plutôt, débonnaire, vers les pays qui favorisent le développement durable ?
- Vous avez peur des armes ? Je vous conseille de regarder la carte de répartition par habitant dans le monde, ça réveille !
- Un pays se montre revêche envers les étrangers ou les touristes ? On boycotte ou on passe outre ?
- Un pays se dit démocratique mais possède le plus fort taux de criminalité au monde. On y va en sandales à fleurs ?
- Vous comprenez quelque chose à la religion ? Tant mieux, vous m'expliquerez. Mais la liberté de croyance, ça se discute ou non ?
- J'en oublie...
Pour conclure ici, si l'on veut se
cantonner aux seuls états respectant une majorité de principes
vertueux, il va falloir une bonne dose d'inspiration et de
bienveillance (ou alors on se cantonne
à la Suisse ?). Celle-là, je ne savais où la caser, elle est à
sa place.
Pendant que vous êtes partis en quête
d'un stylo 4 couleurs et d'un bloc-notes pour commencer votre liste,
je vous propose un peu de détente et de culture ornithologique,
c'est beau.
Savez-vous qu'en Guinée Equatoriale,
on peut rencontrer 842 espèces d'oiseaux ? Oui, presque autant que
le nombre de marques d'armes différentes à dénicher au marché
central de Malabo.
Dans cette liste, il y a des noms
complètement incroyables. Je ne vais pas tout énumérer ici mais
quand même... Je ne sais pas qui a fabriqué cette liste mais il y a
des limites...
Le lien est ici : liste des oiseaux de Guinée Equatoriale !
Bon si on attaque dans l'ordre
alphabétique, on comprend vite que les rédacteurs en ont un bon
coup dans l'aile (!). Soit ils ont fumé et bu simultanément, soit
ils sont dyslexiques à un degré tel qu'ils ont affublé de beaux
spécimens des noms complètement loufoques, voire provocateurs.
Je commence par l'"Agrobate du Ghana". Déjà, "Acrobate du Ghana" c'était d'un goût
discutable, mais "Agrobate", je vois pas l'intérêt. A
part si on veut rater une contrepèterie ?
"Du Ghana" ? Qu'est-ce qu'il
fout là ? On est à plus de 1000 bornes du Ghana et il vient
pique-niquer en Guinée Equatoriale ? Mais là où il aggrave son
cas, c'est qu'il n'est présent ni au Togo, ni au Bénin, ni au
Nigéria, ni au Cameroun ! Pire, on ne le croise pas non plus au
Gabon et au Congo... Mais en Guinée Equatoriale, oui ! Ca pue la
belle magouille cette affaire...
Voyez son aire de répartition, on se demande même si c'est légal !
Bon passons à la suite : on rencontre
parfois une "Alèthe à poitrine brune". Là, rien
d'anormal, qu'une Alèthe ait de la poitrine, c'est plutôt
rassurant.
Chez les Barbicans (oui ça existe aussi), il
y a 12 espèces différentes : à poitrine rouge, à tâches jaunes, à
tête blanche, etc... Et le meilleur : le "Barbican à narines emplumées" ! Cherchez l'intrus... J'espère qu'il n'est pas
allergique aux plumes parce qu'il va passer sa vie à éternuer, le
pauvre malheureux.
Le "Bathmocerque à tête noire" est un
simple rouge-gorge qui s'est loupé au départ, de là à s'appeler
comme ça... Il doit être dyscolorique pour mettre le rouge derrière
et le noir devant.
Plus loin, je reste interdit devant le
"Calao à cuisses blanches" et le "Camaroptère à sourcils jaunes"
(sûrement un lointain ancêtre de mes grands-parents). Je suis
interdit parce que je me demande ce que ça donne s'ils s'accouplent
?
Suit notre nouvel ami, l'Hypolaïs Polyglotte, pas super bien coiffé mais il parle 54 langues et 78
dialectes ouest-africains, la classe !
Le Néocossyphe à Queue Blanche arrive
bientôt. A queue blanche ? En Afrique ? Il s'est planté de
continent ? Je sors ?
Je passe sous silence l'Oedicnème Vermiculé, qui pourrait sans doute faire l'objet d'une contrepèterie
de premier choix, mais le temps de prononcer correctement son nom
(environ 47 minutes), il a déjà fait 15 bornes, vous n'en verrez
jamais !
Le Parmoptile à Gorge Rousse se révèle
plus compréhensif, on en croise de temps en temps. Si vous avez le
temps, essayez d'apprendre son nom en russe : Обыкновенный
муравьиный астрильд .
(Le dernier ferme la porte ?)
Venons-en au Turnix Mugissant !
Mugissant ?
Oui parce que : La femelle a un cri territorial type :
c'est un 'hou-hou-hou-hou', grave, portant loin, rappelant une corne
de brume lointaine ou le mugissement d'une vache. Ce cri, répété
toutes les une à trois secondes, est surtout émis à l'aube et au
crépuscule. Le caractère ventriloque du cri (dû vraisemblablement
à une dilatation de son oesophage) augmente la difficulté pour
localiser l'émetteur.
Bon, pas de
malaise, vous le distinguerez sans difficulté d'une vache si elles sont côte à
côte : la vache est celle qui parvient à manger sa morve avec sa
langue, le Tunix est parfaitement dyspraxique dans cette activité.
Allez, faites votre
liste, pendant ce temps, je prépare la suite de ce blog.
Et au fait, vous
saviez que la Guinée Equatoriale est composée d'une partie
continentale et d'une île principale. Et ben vous ne me croirez
jamais, ils ont réussi à poser la capitale Malabo sur l'île !
C'est pas une idée
de dictateur ça ?
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